Journée des Martyrs de l’indépendance : ce match de football qui a changé l’histoire de la RDC, le 4 janvier 1959

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Chaque 4 janvier, les Congolais célèbrent la fête des Martyrs de l’indépendance. FootRDC s’est intéressé ce jour à un événement majeur qui a ouvert la dernière ligne droite dans la lutte pour l’indépendance. Le match AS Vita Club vs Mikedo, lors duquel les Moscovites perdent 1-3 déclenchera, suite à un malentendu, des affrontements mortels.

Comment un match de football a-t-il fait basculer l’histoire de la RDC ? Dans un récit passionnant, l’écrivain belge David Van Reybrouck raconte, dans « Congo : Une histoire »*, ce qui s’est passé ce jour-là à Léopoldville, ancienne dénomination de Kinshasa.

Le récit des coulisses d’un d’événement historique

« Le 4 janvier 1959, à Bruxelles, il fait un froid glacial. C’est un dimanche matin paisible, il gèle. Les rues sont extrêmement glissantes. A travers les avenues chics d’Ixelles, près de l’abbaye de la Cambre, une voiture avance prudemment entre les imposantes demeures. Jef Van Bilsen est au volant, l’homme qui avec son plan de trente ans a déchaîné les démons, pense-t-on communément. Mais c’est aussi le Belge qui entretient les meilleures relations avec l’élite congolaise.

Peu savent aussi bien que lui ce qui se passe parmi les évolués. De très bonne heure, Arthur Gilson, ministre de la Défense, l’a appelé pour lui demander de venir de toute urgence. Le ministre a passé tout le week-end du Nouvel An à peiner sur le texte d’une déclaration du gouvernement. Durant les derniers mois de 1958, un groupe de travail est parti au Congo à la demande des autorités belges pour faire l’inventaire des attentes de la population.

Une initiative louable, sauf que pas un seul Congolais n’a fait partie de l’équipe de
recherche. Leur rapport va cependant donner lieu à une déclaration gouvernementale énergique, qui constituera les fondements
d’une nouvelle politique coloniale. Différents ministres ont déjà examiné le texte pendant les vacances de Noël, mais ils ne s’en
sortent pas, pas plus que le ministre de la Défense. Peut-être Van Bilsen peut-il apporter son éclairage ? Dans le bureau du ministre,
Van Bilsen tente de faire clairement comprendre, en ce paisible dimanche matin, qu’une déclaration aussi cruciale n’a pas de sens tant qu’elle n’annonce pas l’indépendance et ne propose pas une
date butoir concrète.

Le ministre tombe des nues. “Une discussion s’engagea entre nous qui tenait plus d’une conversation de
sourds, à propos de ce qui était souhaitable du point de vue congolais et ce qui pouvait être réalisable du point de vue belge”, expliqua Van Bilsen. La situation reste gelée. Il retourne à petits pas à sa voiture sans avoir obtenu gain de cause.

Nouvel an et le discours courageux de Lumumba

Le 4 janvier 1959 à Léopoldville, il fait une chaleur étouffante. La saison des pluies est encore loin d’être terminée, l’air est visqueux, oppressant. Dans la résidence du gouverneur général, des préparatifs sont en cours pour la réception annuelle du Nouvel An dans le jardin. Les verres sont astiqués, les tâches réparties. Le nouveau gouverneur général se nomme Rik Cornelis, il ne
sait pas encore qu’il sera le dernier.

Certains Belges dorment encore après avoir dansé toute la soirée au Palace ou au Galiena. D’autres prennent leur petit déjeuner, ils mangent des tartines et de la confiture de fraises. Les plus courageux d’entre eux sont déjà partis nager ou faire du tennis au cercle sportif. Ce sera une réception stylée. Quelques Congolais ont aussi été invités, conformément à la philosophie d’une communauté belgo-congolaise. Quelques maires indigènes seront présents. Dans son discours, le gouverneur général parlera certainement des grands défis de la nouvelle année. Le champagne va mousser, le cristal étinceler. On “exprimera de l’espoir”, on “consolidera la confiance” et on parlera beaucoup de “compréhension mutuelle”, le tout “dans une atmosphère d’amitié”.

Le 4 janvier 1959, quelques kilomètres plus loin dans la ville, à Bandalungwa, un quartier moderne pour évolués, Patrice Lumumba est invité à déjeuner dans la maison d’un nouvel ami. Pendant qu’il purgeait sa peine de prison, il a lu régulièrement dans le journal Actualités africaines des articles de Joseph Mobutu, le militaire devenu journaliste qui était présent à l’Expo. Après sa libération, Lumumba s’est lié d’amitié avec lui. Régulièrement, il lui rend visite et savoure les plats délicieux que sa femme leur prépare. Ce dimanche, pendant le repas, ils font des projets pour l’après-midi. Ils savent qu’à deux heures au centre de la cité, dans un local de YMCA, l’auberge de jeunesse chrétienne, un meeting de l’Abako est prévu. Une semaine plus
tôt, Lumumba a parlé devant une foule de sept mille auditeurs de son voyage à Accra.

Ce sera sa meilleure intervention. La foule a réagi par des acclamations enthousiastes. “Dipenda, dipenda !” scandait l’assemblée à la fin de son discours, une déformation en lingala du mot français « indépendance ». Peut-être est-ce pour cette raison que le bourgmestre principal de la ville, le Belge Jean
Tordeur, a décidé à onze heures ce jour-là qu’il valait mieux que le meeting prévu dans la journée n’ait pas lieu.

Une mesure de
sécurité : il n’a pas envie de fauteurs de troubles. Lumumba et Mobutu décident tout de même d’aller y faire un tour. Ils n’ont pas de voiture, mais Mobutu a un scooter. Attardons-nous un instant sur cette image : Mobutu et Lumumba ensemble sur le scooter,
deux nouveaux amis, le journaliste et le vendeur de bière, l’un a 28 ans, l’autre 33. Lumumba est assis à l’arrière. Ils pourfendent l’air chaud et parlent fort pour couvrir le bruit du tuyau d’échappement qui pétarade43. Deux ans plus tard, l’un allait contribuer à l’assassinat de l’autre. Le 4 janvier 1959, le stade Roi-Baudouin se remplit pour un
match important du championnat de football congolais. Le grand stade n’est qu’à quelques centaines de mètres du YMCA.

La fougue des autochtones commence à inquiéter

Vingt mille supporters viennent de toutes parts. Ils portent des chemises et des pagnes colorés. Certains ont des plumes sur la tête et des traits sur le visage, comme autrefois, de larges bandes d’argile d’un blanc éclatant sur le front et les joues. Ils dansent avec des gestes ensorcelants et les yeux écarquillés. C’est un spectacle inquiétant. La tribune en béton en pente raide autour du terrain se remplit de monde et de roulements de tambours. On joue du tam-tam et d’autres percussions, on fait du tapage, on crie. Il règne une atmosphère de guerre.

Elle rappelle les rives du fleuve Congo dans les années 1870, quand Stanley passa pour la première fois dans son bateau. Les battements du tambour de guerre, les milliers de gorges furieuses, la danse de plus en plus effrénée, les yeux du guerrier. Dans les catacombes du stade, les joueurs serrent leurs lacets et glissent leurs protège-tibias dans leurs chaussettes. Ailleurs dans la ville, à la  résidence du gouverneur, on a sorti les bouteilles de champagne du réfrigérateur et elles pétillent au soleil.

Toujours le 4 janvier 1959, sur l’avenue Prince-Baudouin, près du YMCA, Kasavubu dit à la foule mobilisée que le meeting ne
peut malheureusement pas avoir lieu. Cela provoque des grommellements démonstratifs et des protestations, une bousculade et des tiraillements. En tant que pacifiste et admirateur de Gandhi, il enjoint à ses partisans de garder leur calme. Il semble y arriver, même s’il n’a pas de micro. C’est lui le leader, c’est lui le chef, c’est lui le bourgmestre. Soulagé et rassuré, il rentre chez lui.Mais c’est le 4 janvier 1959, que tout va changer, bien qu’on ne s’en aperçoive pas encore. Le Congo vit avec son temps, semble-t-il. Léopoldville est la deuxième ville au monde où circule un
gyrobus, un bus électrique qui se recharge aux différents arrêts à l’aide d’antennes installées sur son toit.

La première ville du monde qui s’était dotée de ce moyen de transport en commun
futuriste était en Suisse, et voilà à présent que ces bus filaient aussi à travers la cité… Plusieurs milliers de partisans de l’Abako restent bouder près de l’endroit où leur meeting aurait dû se dérouler. Un chauffeur blanc du gyrobus aune altercation avec
l’un d’eux et lève le bras. Le futurisme rencontre le racisme. Il se fait aussitôt rouer de coups. L’affaire tourne mal. On se bat, on s’agrippe. La police intervient, des agents noirs, des commissaires blancs.

Cela vient du Nouvel An, pense-t-on, ils sont encore ivres
ou bien n’ont une fois encore plus un sou, l’un des deux. Deux commissaires assènent des coups de poing. Ce n’est pas une bonne idée. “Dipenda !” entend-on. “Attaquons les Blancs !” Un mouvement de panique s’ensuit. La police tire en l’air. Plus loin, une de leurs Jeep est renversée et on y met le feu. A ce moment-là le stade de football se vide – cohue, extase, frustration, sueur – et les supporters se joignent aux partisans qui auraient voulu assister au meeting de l’Abako.

Et puis ce match de foot qui changera tout

C’est le football qui tiendra lieu de poudre à canon. La Belgique est devenue indépendante en 1830 après un opéra. Le Congo exige en 1959 l’indépendance à l’issue d’un match de foot. Deux jeunes hommes déboulent sur un vélomoteur. Ils n’en croient pas leurs yeux. Les années précédentes,
ils se sont hissés vers le haut en se formant eux-mêmes, mais à présent ils constatent la colère de la foule dont ils se sont extraits.

Ils ne la regardent plus de haut, comme il sied aux évolués, mais se sentent solidaires. L’élite et la masse se sont enfin trouvées.Léopoldville compte à ce moment quatre cent mille habitants, dont vingt-cinq mille Européens. Les services de police ont des effectifs très réduits, seulement 1 380 agents46. Il n’y a pas de
gendarmerie. L’échelon supérieur des forces de l’ordre est immédiatement l’armée. Dans la caserne de la ville sont cantonnés
environ deux mille cinq cents hommes, mais ils sont formés pour faire la guerre à l’étranger, pas pour maîtriser les troubles au sein de la population locale.

La police essaie de venir à bout de la tâche mais, en quelques heures, toute la cité est sens dessus dessous. Des pierres sont lancées en pluie contre les voitures des Blancs. Des fenêtres sont brisées. Partout des incendies se déclarent. La police tire à balles sur les manifestants. Sur l’asphalte s’étendent des flaques de sang foncé où se reflète la lueur des flammes. Des milliers et des milliers de jeunes se mettent à piller. Tout ce qui est belge doit y passer. Les églises catholiques et les écoles missionnaires sont saccagées, les centres de quartier où sont donnés les cours de couture sont mis à sac.

Vers cinq heures, quelques gangs entrent dans les magasins des Grecs et des Portugais, les boutiques où l’on fait habituellement ses courses. Les pilleurs les attaquent sans ménagement et décampent avec des mètres de tissus à fleurs, des vélos, des radios, du sel et du poisson séché. A la réception du Nouvel An du gouverneur général, on reçoit
un appel téléphonique. “Ça tourne mal dans la cité.” Sur une zone de dix à douze kilomètres ont lieu de violents affrontements. La partie européenne de la ville est verrouillée.

L’armée entre en action, d’abord avec du gaz lacrymogène, puis avec l’artillerie lourde. Les manifestants tombent en masse. “Cela revenait à tuer une mouche avec un marteau de forgeron”, comprit-on par la suite. Certains coloniaux sont pris d’une telle fureur qu’ils vont même décrocher du mur leur fusil de chasse pour “filer un coup de main”. Des années d’accumulation de mépris et de peur,
mais surtout de peur, se libèrent. A six heures, quand tombe la nuit, la ville est relativement calme. Les feux s’éteignent. Dans l’hôpital européen, des dizaines de Blancs se font soigner.

Devant la porte, dans l’obscurité, leurs élégantes voitures sont cabossées, éraflées, démolies. Dans les villas, les femmes doivent faire elles-mêmes la cuisine pour la première fois depuis des années : le boy reste introuvable.Le lendemain, bon nombre de Belges se sentent plus résignés qu’en colère. “Nous avons totalement perdu la face”, se disent-ils entre eux le lundi matin. Certains commencent à faire des provisions de sardines et des stocks d’huile de cuisson, d’autres réservent des billets aller pour Bruxelles auprès de la Sabena. L’armée
aura besoin de trois à quatre jours pour reprendre le contrôle de la ville. Le bilan est insupportable : 47 morts et 241 blessés du côté congolais, du moins d’après les chiffres officiels. Les témoins oculaires parlent de deux cents, peut-être même trois cents morts. C’était le 4 janvier 1959 et la situation n’allait jamais se rétablir…

Footrdc.com

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