Agent des joueurs et personnalité très active dans les rouages du football congolais et international, Luc MANGALA, ce sportif congolais avisé, discret, mais intelligent quand la matière c’est le foot. De Bruxelles (Belgique), où il est installé depuis plus de deux décennies, il a accepté d’accorder un entretien culte à la rédaction de Footrdc.com.
Dans ce jeu de question-réponse sans détour et sans réserve auquel notre hôte s’est livré avec plaisir, des sujets touchant au foot congolais ont été abordés, le principal est celui ayant trait à la FECOFA et l’immixtion de la CAF comme pour dire que ceux qui ont gérée cette instance l’ont moins bien fait. L’occasion était belle pour Luc MANGALA d’interpeler l’actuel secrétaire exécutif de la CAF, Veron MOSENGO (congolais d’origine). A celui-ci la responsabilité de « faire renaitre le foot congolais de ses cendres ». La démarche en cours a tout le mérite d’être saluée. Voici l’intégralité de cet entretien réalisé par Isaac B’ampendee.
Foot RDC : Bonjour Luc MANGALA et merci de partager avec nous ce moment. Pour commencer, pouvez-vous nous faire une brève présentation de vous, histoire de permettre à nos lecteurs de vous découvrir ?
Luc MANGALA : Bonjour Monsieur. Je suis flatté de partager ce moment avec vous. Je suis Luc MANGALA. Je suis congolais, j’habite en Belgique depuis près de 24 ans. Je suis agent des joueurs de football. Ça va faire 15 ans que je suis dans le milieu. Je m’occupe des joueurs sur le plan national (Congo) et international. Sur le plan national, j’ai eu à collaborer avec Super 15 Agents. Mais personnellement, j’ai été impliqué dans plusieurs transferts, comme Eric Bokanga que j’ai amené à l’époque au Standard de Liège, Jean-Marc Mundele, au Standard toujours. Il y a aussi Bwana Ali Samantha que j’ai amené à Genk. J’ai géré la carrière de Matoumouna Room durant tout son séjour en Europe. J’ai été dans le deal de Patrice Neveu. . . Donc il y en a plein, la liste n’est pas exhaustive. Voilà un peu ce que je peux dire pour la petite présentation.
FR : Quelle est donc plus grande fierté, réalisation en tant qu’agent-joueurs, ou votre plus beau souvenir en d’autres mots, depuis que vous exercez ce métier ?
LM : Vous savez, la fierté d’un agent c’est de se dire, j’ai réalisé un transfert. Le joueur a du boulot, il s’occupe de siens, tout se passe bien pour lui, et qu’il y a bon projet sportif derrière tout ça. La fierté peut être financière ou sportive. Mais à titre personnel, si je dois répondre à votre question, je parlerai du transfert que j’ai réalisé en 2012. Quand j’ai ramené Dereck Tshimanga de Lokeren à Genk, pour 2,5 millions d’euros. À l’époque, c’était l’un des plus gros transferts entrants de Genk pour un défenseur. Pour le reste, quand vous concluez un deal, vous pouvez être fier en vous disant que vous avez fait un boulot jusqu’au bout. C’est l’aboutissement de 4, 5 mois voire même un an de travail, des coups de fil, de stress, de plein de choses. . . Donc la fierté pour moi avant tout, c’est la réalisation d’un deal. Après les relations agents et joueurs peuvent durer longtemps comme elles peuvent aussi se dégrader très vite.
FR : Abordons à présent des sujets saillants de cet entretien. Vous êtes originaire de la RDC et vous suivez le football congolais au quotidien. Comment appréciez-vous l’état actuel du sport roi dans votre pays ?
LM : Ici, il n’y a pas à vouloir couvrir une situation que tout le monde connaît déjà. C’est un constat de tristesse et de grande désolation que l’on fait sur notre football. Il ne mérite pas d’être où il est actuellement. Ce football a été pris en otage pendant plus de 12 ans. Et aujourd’hui, on n’est même pas en retard, on est sous terre. Aujourd’hui, je pense qu’il n’est pas encore tard, qu’on se retrousse les manches, qu’on travaille avec des gens qui ont envie de faire progresser le football, les gens qui ont envie de redonner la soif aux footballeurs de remonter sur le terrain. . . Car l’envie qu’on a connue n’y est plus. Les joueurs sont abandonnés à leur triste sort par des gens qui ne visent que leur intérêt financier. . . Aujourd’hui, on est en train de vivre des moments difficiles, mais je pense que c’est des moments qui vont nous forts plus tard.
FR : Et sur ce, vous pensez qu’il y a lieu d’espérer un changement ?
LM : Le football est par terre. Mais on souhaite tous que ça change. On a eu un monsieur et sa clique qui ont mis le football congolais par terre et il faudrait que ça change. Il est temps d’avancer avec d’autres personnes, dans une autre vision. Travailler comme des fermiers, c’est-à-dire, des gens qui vont sur le terrain, voir l’état des terrains, qui vont visiter les arbitres dans leur métier. Car c’est scandaleux de savoir qu’on a aujourd’hui un championnat où les arbitres décident de qui va gagner le match par rapport à ce qu’ils reçoivent avant le match.
FR : Mais dans tout ça, quels sont les principaux responsables de cette chute incommensurable du football congolais ?
LM : Quand il y a naufrage, il faut chercher le capitaine. Je pense que ce n’est pas un crime de dire que, telle personne a bien travaillé, et l’autre non. Le responsable de ce que vit le football congolais aujourd’hui c’est Monsieur Omari. Même si vous lui posez la question, il ne vous dira pas que son bilan à la tête de la fédération est positif. Quand les gens jouent encore sur des terrains sablonneux, non délimités, avec des arbitres Kamikazes, c’est comme au far West. Vous avez des problèmes de pédophilie dans des Cercles des jeunes. L’équipe nationale féminine s’entraîne dans une ruelle boueuse. . . Avec tout ça, il n’y a pas à chercher la cause ailleurs. Les vrais responsables c’est le comité qui était à la FECOFA. C’est à eux qu’il faut demander des comptes, pas à quelqu’un d’autre.
FR : Concrètement, qu’est-ce qui manque au foot congolais à l’heure actuelle, pour son décollage ?
LM : Dans tout ce qu’on fait, quand on essaie de développer une société, ce qui compte c’est la « VOLONTÉ ». Et la volonté aujourd’hui n’est pas là. Et les hommes qui ont été là pendant plus de 12 ans, ont montré leur mauvaise foi, leur incapacité et leur incompétence. C’est pourquoi le système Omari doit être banni. Il faut aujourd’hui des hommes de terrain, qui vont voir où se pratique le football, qui vont dans les bureaux des ententes pour voir comment ça se passe. Le système actuel est mauvais et il faut le bannir.
FR : votre point de vue sur la suspension du processus électoral à la FECOFA, et la normalisation (prochaine) des textes régissant cette dernière, décision de la CAF en commission avec la FIFA.
LM : Je dois vous dire que, c’est une décision que j’ai très bien accueillie. Je me dis qu’il était temps de stopper l’hémorragie. Avant d’aller plus loin, laissez-moi parler de la normalisation des textes. On ne peut pas avoir des textes qui font qu’à chaque élection, il n’y a qu’une clique des personnes qui se présente pour être élue. Ce n’était pas correct. Je pense que sur ce point là, la CAF a pris une très bonne décision. On pourra donner à chacun (ndlr après normalisation des textes) la chance de postuler à un poste au sein du comité de la fédération. Et à propos de la gestion de la FECOFA elle-même, quand sieurs Tshimanga et Patou Mangenda prennent l’avion pour aller à la CAF, ils doivent y amener un bilan. Et quel est le bilan ?
FR : Selon vous, la CAF a donc pris une décision opportune ?
LM : La CAF a pris cette décision parce que le bilan est catastrophique. Aujourd’hui je dirais que le fait de repousser les élections à juin-juillet 2022, c’est trop près. Parce qu’il faut plus évoluer vers un comité de normalisation, prendre du temps, faire un travail de fond. N’oublions pas que l’année prochaine c’est la Coupe du Monde. Nous avons une équipe nationale avec des excellents joueurs, mais il faut les mettre dans les conditions optimales et il faut travailler avec des gens pour créer ces conditions.
FR : Et quelle serait la responsabilité de Veron Mosengo (Secrétaire exécutif de la CAF) dans cette mutation censée avoir lieu à FECOFA ?
LM : Monsieur Mosengo a aujourd’hui cette responsabilité de changer le système qui était en place, pour donner un nouvel élan au football congolais. Il n’y a pas que le problème de gestion. Il y a le problème des textes, celui des entraîneurs pédophiles qu’on semble négliger, des arbitres corrompus. . . Il y a plusieurs pratiques qui doivent être bannies de notre football. Qu’il (Veron Mosengo) prenne ses responsabilités en tant que congolais. Que cette démarche qui a commencé aille au-delà du mois de juin 2022. On ne saura faire tout le travail dans 6 mois. Il faut évoluer vers un comité de normalisation.
FR : Parlant de la FECOFA, quel est le profil type pour son futur président ?
LM : Un volontaire premièrement. Un homme de terrain comme je l’ai dit. Quelqu’un qui ne sera pas là à rester dans son bureau. Quelqu’un qui prendra sa voiture et aller assister aux matchs, pas uniquement pour voir les athlètes jouer, mais voir aussi dans quelles conditions ils jouent, comment les arbitres se comportent. Quelqu’un qui va voyager à travers tout le pays, pour faire un état de lieu du football congolais. Pas une personne qui va s’acheter une paire des chaussures à 5.000€. Avec ce genre des chaussures, vous n’irez jamais assister à un match à Kitambo, ou dans un coin reculé de Kinshasa. Je dois vous dire qu’un président de la Fédération n’est pas quelqu’un qui ne se rend qu’aux grands matchs au Stade des Martyrs, à côté des autorités. Je pense que le poste de président de la Fédération doit être pour un homme de terrain, un volontaire, un courageux.
FR : pensez-vous comme plusieurs congolais qu’il est rationnel de confier la FECOFA aux anciens footballeurs ? Actuellement, on parle plus de Shabani Nonda et Hérita Ilunga. . .
LM : Je ne dirais pas non. Mais je pense qu’on peut faire un mix. Prendre dans un bureau Hérita Ilunga, qui est quelqu’un d’intelligent et consciencieux dans ce qu’il fait, pour ne citer que lui. Aujourd’hui, on peut faire un mélange. Trouver des gens qui ont la volonté de changer les choses, associer à ceux qui ont travaillé à la FIFPRO, à l’UFC. . . Bref, prendre des gens qui viennent de partout, recréer une nouvelle synergie des gens qui ont envie de travailler. Ce ne sont pas tous les anciens joueurs qui peuvent devenir président de la FECOFA. Mais pour avoir joué au foot, ils peuvent avoir quelque chose à apporter. Et ça, personne n’en doute. Que ça soit Hérita, Shabani, Mulumbu, ils peuvent apporter quelque chose. Il ne faut pas penser que parce que certaines personnes sont jeunes, qu’elles n’auront pas le courage de poser certains actes, d’entreprendre des belles initiatives. Comme on le dit toujours : « Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre d’années ». Il faut changer un système, et en le changeant, il doit y avoir des nouvelles têtes qui arrivent.
FR : Alors dites-nous, que devrait être aussi la contribution du ministre des sports au développement du football congolais ?
LM : La FECOFA ne pourra pas y arriver toute seule. Elle est d’ailleurs une entité qui ne peut être contrôlée par le ministère des sports, mais ce dernier a tout de même un mot à dire, à travers les aides dans la réalisation de certains projets. Je pense que le ministre doit aussi être un homme de terrain, il doit s’impliquer pour que les choses avancent. Il devra à tout moment échanger avec les membres de la FECOFA, leur demander ce qui ne va pas, et comment ils peuvent ensemble changer les choses. Par-dessus tout, lui-même doit être aussi quelqu’un qui se déplace pour palper la réalité du terrain. Il ne doit pas se contenter des informations qu’il reçoit depuis son bureau climatisé. Être ministre, ce n’est pas seulement rénover le Stade des Martyrs, c’est aussi aller trouver des solutions aux problèmes des entités, des sportifs. Parce qu’il n’y a pas que le football. Il veiller aussi sur les autres disciplines, le Basketball, le volley, le Tennis, le Handball. . .
FR : Au Cameroun, Samuel Eto’o est passé président de la FECAFOOT. Comment l’avez vous accueilli ? Avez-vous le sentiment qu’une issue semblable peut avoir lieu en RDC ?
LM : Je suis très fier pour son élection parce que déjà il a eu une grande carrière en tant que footballeur. C’est quelqu’un qui aime son pays, qui aime sa fédération. Aujourd’hui, les camerounais doivent être fiers d’avoir à la tête de leur fédération quelqu’un qui va travailler, qui va faire le terrain, comme je vous le disais au sujet de la FECOFA. On a besoin de ce genre de dirigeant. Un homme qui n’ira pas piquer dans la caisse de l’État. Samuel Eto’o est venu pour redonner un nouvel élan à la fédération camerounaise. Ceci prouve encore une fois qu’il y a des anciens joueurs avec un certain aura, qui peuvent devenir présidents de fédération, avec beaucoup de sérieux et beaucoup de courage.
FR : Terminons par ici. Pour ses arriérés de salaire et prime non perçues, Christian Nsengi s’est plaint à la FIFA contre la FECOFA, qui se retrouve une nouvelle fois dans des beaux draps. . .
LM : C’est un scénario rocambolesque. Ça montre encore qu’on avait à la Fédération des gens de mauvaise foi, des gens qu’on doit supplier pour qu’il vous donne ce qui vous revient. Je ne pense pas qu’on aurait fait ça à un sélectionneur expatrié. Quand il s’agit des entraîneurs congolais, ils (Fédération) font des choses comme des congolais moins sérieux. Le comité qui est en place adorait payer les coachs locaux dans le système de « Petit na ngai zela nanu » Christian Nsengi mérite d’être payé parce qu’il a travaillé, il a qualifié l’équipe nationale au CHAN 2021. Il faut le payer. Il était dans les déplacements de l’équipe, on l’a vu diriger ses joueurs, et il mérite d’être payé. Il y aussi Christopher Oualembo qui était son adjoint et qui n’a pas été payé, Robert Kidiaba aussi. Et tout ça, est à mettre dans le dossier INCOMPETENCE du comité Omari. . .
FR : Monsieur Luc MANGALA, nous vous disons merci d’avoir répondu à nos questions
LM : C’est moi qui vous remercie.
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