En douze ans, la Katumbi Football Academy a formé des jeunes talents qui ont rejoint l’équipe première, remporté des compétitions africaines, et pour certains, poursuivi une carrière professionnelle à l’étranger. Cependant, les Corbeaux peinent à retenir ces jeunes prodiges. FootRDC vous emmène au cœur de cette pépinière de talents.
Sur une route en terre battue, une Prado noire traverse un décor verdoyant, dominé par des bambous qui forment une cloison. C’est calme et broussailleux. Après des étangs de poissons, la voiture traverse une mini-forêt naturelle, bifurque à droite et nous voilà dans l’enclos. Un espace de plus six hectares dont seulement trois sont déjà exploités. Trois bâtiments principaux surplombent l’espace, 28 chambres, 2 dortoirs de plus de 20 lits chacun, trois terrains de football : un synthétique, un naturel et un demi-terrain couvert en construction, six appartements pour encadreurs, une grande cafeteria et une piscine, l’ensemble dans un cadre vert et loin de tout vrombissement de la ville. Nous sommes à la Katumbi Football Academy.
Le ciel bleu, quatre bâtiments du centre de formation tapissent dans la verte pelouse tondue en cette fin d’année. En face de la salle, une piscine. À notre arrivée, des jeunes, imberbes, s’occupent de leurs affaires : les uns lessivent, les autres arrangent leurs chambres.
« On a un type d’organisation où chacun s’occupe de nettoyer sa douche, ses linges, etc. on a un travail d’éducateur donc on les responsabilise »,
glisse Johan Curbilié. Sur place, on évite de mettre les jeunes sous les feux de projecteurs très tôt, à l’image de Patient Mwamba, couvé et protégé par son club.
Éducateur formé en psychologie et actuellement étudiant au Centre d’Économie et de Droit des Sports (CDES) de Limoges, la même école qui a accueilli Zidane (promotion 7) et Shabani Nonda (promotion 12), il a supervisé la Katumbi Football Academy (KFA) depuis sa création. Chaque jour, il visite le centre pour suivre de près le développement des jeunes talents. Bras droit de Régis Laguesse de 2012 à 2019, il a pris les rênes de la KFA après le départ de ce dernier, ayant reçu la confiance de Moïse Katumbi pour mener le centre avec son équipe.
La vie vue d’intérieur
Dès que chantent les premiers oiseaux dans le cadre verdoyant de Futuka, aux premières lueurs de soleil, les élèves quittent leur lit pour débuter la journée. Chacun s’occupe de ses tâches matinales avant de se joindra aux 39 autres pour un petit-déjeuner. Suivent les séances de cours ou d’entrainement pour l’une de deux promotions de l’académie. « Le fonctionnement de base ce que les joueurs puissent avoir 5 heures d’études par jour. Entre une heure de demie et trois heures de terrain, selon l’état de forme et puis des moments de calme où ils peuvent profiter soit de la piscine, jouer aux jeux vidéo, au ping-pong où s’installer calmement dans les dortoirs. On essaie à chaque fois de les responsabiliser », confie Olivier Giachino, directeur technique de la KFA.
La quarantaine, le visage juvénile et le sourire facile, a accumulé 20 ans d’expérience en France avant de poser ses valises dans les locaux de la KFA. Dans son bureau, les trophées remportés par les académiciens et surtout quelques cadres dans lesquels sont gardées soigneusement des images des dernières promotions. « Ici, c’est Glody, là c’est Patient Mwamba, qui joue en équipe première maintenant, Magloire et d’autres joueurs qui sont avec Don Bosco » se souvient-il.
La journée de chaque académicien est ciselée dans le marbre. Du lever matinal dès 6h30 jusqu’à l’heure du coucher à 21h15, chaque académicien connait par cœur le programme.
« J’essaie d’être très discipliné. Je rêve devenir un grand gardien et j’y travaille pour y arriver, déclare timidement Ikie Uchudi, détecté à Taba Congo il y a deux ans. On se lève à six heures, je m’entraine puis j’étudie, après la sieste de midi, on s’entraine encore et le soir je dors dès 21 heures. »
À Futuka, le modèle du PSG inspire les dirigeants. Après la perte de Nkunku, formé au club mais parti pour Leipzig, avant de rallier Chelsea, le PSG reconsidère sa stratégie d’accompagnement des jeunes talents. L’objectif est d’offrir des plans de carrière attractifs pour fidéliser les joueurs et permettre au club de bénéficier de leurs performances et des transferts.
KFA, l’académie-école
La KFA mise aussi sur l’éducation de ses poulains. Parmi les trois bâtiments principaux, l’un, qui comporte trois salles abrite les cours des académiciens. Ils y apprennent « des cours d’anglais, de mathématiques, de français, de géographies et d’autres matières. » Dans sa politique de formation, Moïse Katumbi mise sur le « football d’une part et scolarité d’autre part, qui reste le meilleur modèle d’éducation. »
Entre une pause, nous approchons monsieur Christian Banze, dans son maillot de KFA, professeur d’anglais depuis deux ans à l’académie. « Nous leur préparons à devenir des grands. Dans nos cours, on tient à ce que la préparation soit adéquate à des jeunes qui peuvent évoluer à l’international. Notre programme d’anglais les aide dans ce sens en particulier. » Ainsi, les deux promotions, la 4e et la 5e savent que quand l’une s’entraine, l’autre étudie. Le soir, ils alternent. Après deux heures de classe, ils s’entrainent. « On travaille dans une belle ambiance et les jeunes ne sont pas têtues, plutôt gentils et volontaires. »
À l’académie entre lundi et jeudi, les jeunes d’entre 15 à 19 ans ont déjà des rêves plein la tête. « Nous sommes dans des conditions de rêve. Ici, c’est très différent des quartiers. Je sais que j’ai beaucoup de chance et avec mes qualités, j’ai pu être choisi, » savoure Ikie Uchudi, qui à Robert Kidiaba en modèle. Musendeka Jean-Claude, détecté dans un quartier pauvre à Taba Congo également n’en reste pas moins amitieux. Jeune adolescent, de taille moyenne, il nage presque dans son maillot rayé bleu et blanc. « J’étudie et m’entraine bien pour vivre mon rêve. Je joue dans le couloir et en tant qu’attaquant de pointe. Nous avons des heures de jeu, de sommeil, cinq heures de classe, tout est organisé. Du vendredi au dimanche, je rentre dans le quartier chez mes parents. On nous admire par nos amis qui nous voient évoluer ici. J’aimerais un jour jouer à Mazembe comme Zola ou Chris Kisangala. »
Musendeka et ses amis savent aussi s’y mettre pour entretenir un potager de choux de Chine qui fleurit à l’entrée du terrain. À la fin de l’année, KFA organise une rencontre avec les parents des académiciens où un grand repas les réunit aux côtés des encadreurs.
« La volonté du président »
Quand nous essayons de connaitre le montant investi sur l’académie, aucun chiffre ne sort. « Pour les chiffres, je ne peux pas les donner. C’est une peau de banane, mais le président investit beaucoup dans le centre. Les moyens sont suffisants ». Sur place, on veut surtout rester sur le travail et chercher des résultats. Après les cours du soir, les deux promotions vont s’entrainer ensemble, c’est un cadeau maison qui nous ai offert. Olivier Gachiano dispatche, hausse la voix, donne des consignes pour que la séance du soir démarre.
« Les jeunes ont de grandes qualités techniques avec une soif et une volonté d’apprendre. Ils savent la chance qu’ils ont et ils en profitent. On travaille tous les aspects physiques et on essaie de le rendre tactiquement intelligent. On insiste sur la rigueur, la discipline et beaucoup de travail auprès des jeunes. Il y a un cadre où nous on ne leur fait pas de cadeau. »
Au loin, tandis qu’une antilope broute dans le parage, la musique des minuscules tintements de ballons monte à l’oreille. Ça y est, les académiciens mettent le rythme.
À Mazembe, Regis Laguesse, premier directeur de la KFA et un des disciples de Jean-Marc Gillou, a laissé une de méthodes principales d’entrainement : on ne joue pas en bottine.
« Tu vois quelques-uns jouer pieds nus. Ça les aide à développer la sensibilité et quand ils finissent les gammes techniques, ils peuvent utiliser les bottines. Il leur faut à peu près deux ans pour les maîtriser, mais lors des championnats U17, ils jouent avec. Cette méthode est aussi une motivation pour ces jeunes, »
explique Curbilié, pour dissiper nos doutes.
Dans le fonctionnement de la KFA, il y a eu un moment de doute. En 2017, pour ses actions politiques, Moïse Katumbi quitte le pays et part dans un exil qui durera 3 ans. Pendant cette période, les choses n’ont pas été aussi bien qu’en sa présence.
« Certains dirigeants n’ont pas la même vision que la volonté du président », nous glisse-t-on. Car les joueurs formés sont destinés à l’équipe première et leur intégration réduit la marge de manœuvre des recrutements des joueurs d’ailleurs. Depuis son retour, la machine tourne de nouveau.
« Le plus difficile pour les dirigeants est d’organiser la passerelle entre centre de formation et groupe professionnel. Il faut une vision et un projet sportif global pour penser et gérer les timings d’intégration des talents du futur »,
souhaite Curbilié.
Quand les jeunes fuient le nid
Pourtant, malgré cet encadrement, les incidents arrivent. En mai 2023, cinq joueurs du TP Mazembe, membres de l’effectif des U17, qui participaient à un tournoi amical en Italie, la Lazio Cup, s’évadent lors de la compétition. Ils sont recherchés par la police italienne suite à une plainte que Mazembe a déposée dès la découverte de leur disparition.
Sportivement, le parcours de l’équipe s’était arrêté en quarts de finale. Opposés à la sélection ukrainienne regroupée au sein de l’équipe du FC Ruh Lviv, Mazembe a tenu les 20 premières minutes du match avant de s’écrouler, 6-0 score final, suite notamment aux évadés et aux blessures. Avant ce crash, Mazembe, sous la houlette de Jean-Claude Loboko s’était extirpé de la phase de groupes grâce à deux succès, 2-1 contre Latina et 2-0 contre Ancona Calcio.
« Les Académiciens quittent l’Italie avec quelques bonnes connaissances accrues sur les choses du football », évaluait Mazembe dans une publication du 24 mai sur son site web.
Plainte et tensions
Selon les informations de FootRDC, le soir de la défaite 0-2 contre Latina, quatre joueurs ont quitté l’hôtel pour une destination inconnue. Ces jeunes ont profité de la pause de midi, accordée à tous les joueurs entre 13h et 17h pour s’éclipser via une des portes de secours du bâtiment.
« Ces départs nous ont déstabilisé le groupe », a confié un membre de l’équipe, qui a requis l’anonymat. Dans son compte rendu du 24 mai, le club n’a rien indiqué sur la fugue de ses encadrés. Un cadre de la direction du club a déposé une plainte à la Police, au nom de Mazembe.
À la suite de la fugue de quatre joueurs, Mazembe a renforcé la surveillance. Les responsables du groupe ont regretté que les jeunes n’aient pas suivi les consignes données avant le départ vers l’Italie. La demande du club pour que les issues de secours soient fermées a été refusée par l’hôtel, qui ne pouvait accepter le risque de bloquer l’enceinte pour les autres clients en cas d’urgence.
« Plusieurs personnes ont commencé à surveiller les allées de l’hôtel et ont passé des nuits blanches » a précisé la source anonyme. Pourtant, un autre joueur, le cinquième, a réussi à s’extirper des mailles du filet vers « 4h ou 5h ».
Le soir de la défaite face aux Ukrainiens, le jeune a quitté l’hôtel par une autre issue de secours et son absence n’a été constatée qu’au petit matin, au grand désarroi des responsables de Mazembe, qui logeait dans des niveaux différents de celui des joueurs.
« Nous ne communiquons pas avec la presse à ce sujet » a indiqué un cadre de la direction de Mazembe contacté par FootRDC jeudi pour savoir comment le club gérait cet épisode. A l’interne, quelques tensions ont nourri les débats lors du retour de l’équipe, sans que la direction n’annonce de mesure pour l’instant. Les jeunes Corbeaux n’ont plus donné de nouvelles depuis.
« Là, ils ont été hébergés pendant quelques jours par une Congolaise installée en Italie depuis plusieurs années. On ne sait pas où ils se trouvent actuellement, mais nous sommes persuadés qu’ils veulent rejoindre un pays francophone, la France ou la Belgique principalement », a révélé M. Loboko. « Nous savons qu’un membre de leur famille, qui vit en France, les attendait près de notre hôtel » a-t-il ajouté.
Les faits révélés sont troublants. Les joueurs n’ont pas emprunté le bus ou le train pour se rendre à Colleferro depuis Fiuggi, mais une voiture particulière. La même situation s’est produite pour celui qui a fui en France. M. Loboko a expliqué qu’ils avaient appris qu’un homme basé en RDC avait fait miroiter aux familles des garçons la perspective de signer des contrats dans des clubs européens.
« Les joueurs avaient signé un contrat de formation en bonne et due forme avec la Katumbi Academy. Par conséquent, il leur sera impossible de s’engager avec un autre club, d’autant plus qu’ils sont mineurs », a souligné M. Loboko.
L’objectif principal de l’académie est maintenant de retrouver rapidement ces cinq joueurs et de les ramener au pays. « Ils ne risquent rien d’autre qu’une expulsion », a-t-il précisé à l’égard des évadés actuellement portés disparus en Europe.
Quel avenir ?
En une décennie, la KFA est devenue la fournisseuse directe des jeunes à Don Bosco et quelques-uns ont réussi à jouer dans l’équipe première de Mazembe. L’éclosion de Patient Mwamba chez les Corbeaux a permis de remettre les projecteurs sur la formation. Les entraineurs n’hésitent pluss à se rendre en personne à Futuka pour assister aux rencontres d’académiciens. Johan Curbilie était
« là depuis dix ans parce que la formation c’est un projet à long terme. Pour que les Zola, Likonza et les autres arrivent où ils sont, c’est du temps. Des Patients, des Glody nous en avons d’autres. Il faut cependant les intégrer, leur offrir la place, un bon cadre. Si Patient réussit, c’est parce qu’il y a un staff qui lui a fait confiance. On peut démultiplier cet exemple-là chaque saison. »
Il a depuis quitté son poste pour d’autres projets à l’étranger. La KFA reste entre les mains des techniciens congolais, sous la supervision de Loboko Jean-Claude, venu spécialement pour la formation.
En remontant dans la Prado noire pour rentrer à Lubumbashi, les tintements de coups de pied dans le ballon nous parviennent au loin, confus dans la voix du directeur technique Olivier Gachino. À 17h30, sous soleil le couchant de Futuka, les académiciens de 4e et 5e promotions poursuivent leur séance qui ira jusqu’à 18heures. Dans moins de deux ans, leur destin sera un autre et les plus chanceux sortiront du tunnel du Stade Mazembe à Kamalondo, sous les acclamations de la foule, à la conquête du Congo et de l’Afrique.
Elisha IRAGI
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